Qualifier le style artistique de Morrisseau de simples lignes et de cercles fragmentés, c’est occulter les nombreuses expérimentations de l’artiste pour raconter des récits visuels. Morrisseau a exploré de nouveaux supports et de nouvelles techniques pour enrichir son langage artistique. Ses expériences avec l’échelle et la couleur ont propulsé ses récits visuels vers de nouvelles avenues.
Morrisseau tire pleinement parti de cette expérience visuelle à l’aide de bâtonnets de peinture à l’huile pour illustrer l’aura spirituelle de ce cygne. En 1983, lors d’une visite à l’atelier de l’artiste français Yves Vial en Colombie-Britannique, Morrisseau le voit utiliser des bâtonnets de peinture à l’huile et lui demande d’en faire l’essai. Il en résulte ce cygne.
L’expérimentation de Morrisseau se manifeste dans cette œuvre de 1979, conçue en collaboration avec l’artiste Ritchie Sinclair ou Stardreamer. L’œuvre explore des idées spirituelles abstraites et compte parmi leurs nombreuses œuvres communes. Celle-ci est signée par les deux artistes et a été offerte en cadeau.
Dans certaines œuvres, Morrisseau trace des lignes ondulantes sortant des bouches, appelées des lignes de communication. Plus que de simples paroles, elles représentent la prophétie et symbolisent le discours puissant d’un chaman. Ce tableau a été réalisé à la suite de l’adhésion de Morrisseau au mouvement d’Eckankar.
Alors que Morrisseau se trouve en prison à Kenora, en Ontario, il exécute une série de dessins sur du papier essuie-tout, une matière facile d’accès. Cette œuvre est une version de Shaman Rider, réalisé l’année précédente. Morrisseau utilisait des dessins comme ceux-ci pour développer ses thèmes et ses compositions avant de s'engager dans une peinture. Les dessins au crayon comme ceux-ci nous permettent d'avoir une meilleure idée de l'utilisation qu'il faisait de la ligne et de son processus global.
Comme dans le tableau, on retrouve l’Oiseau-Tonnerre avec une tête remplie de dents acérées et des plumes dessinées pour exprimer le mouvement d’un chaman amené vers un autre monde.
Des ours sacrés pendant 30 ans
Cette peinture de deux ours sacrés réalisée par Morrisseau sur de la peau d’orignal témoigne une fois de plus de l’expérimentation de l’artiste, à la fois dans son langage visuel, manifeste ici, et dans l’utilisation des matières. En 1961 et 1962, Morrisseau écrit plusieurs lettres à son ami et mentor Selwyn Dewdney pour lui expliquer sa décision de peindre sur de la peau lorsque l’écorce de bouleau est introuvable.
Ce tableau d’un ours sacré renvoie à un récit raconté par le grand-père de Morrisseau, Moses Potan Nanakonagos, au sujet de son ancêtre. L’ours sacré occupe une place centrale dans la vie de Morrisseau, car il lui est apparu dans sa quête de vision.
Contrairement aux autres couleurs, Morrisseau recourt au blanc avec parcimonie. Le blanc est une couleur puissante et sacrée qui dénote la spiritualité. Cet ours-médecine sacré prend la forme d’un animal albinos (également vénéré sur le plan spirituel). L’ours porte un sac-médecine au cou, pour mieux exprimer son caractère spirituel. Cette œuvre figure dans l’ouvrage The Art of Norval Morrisseau, publié en 1979.
Vers la fin de sa carrière, Morrisseau peint en blanc un ours géant sacré, rappelant le tableau Sacred Medicine Bear de 1974. S’étant installé sur la côte ouest à un âge avancé, il situe l’énorme ours blanc parmi les montagnes, peintes avec les deux nuances de couleurs sacrées qu’il avait reçues plus jeune.
Une famille, en contrebas de l’ours et des montagnes, se trouve dans une tente rougeoyante. Elle est entourée de figures ancestrales tandis qu’elle célèbre la notion de narration visuelle chère à son art.
Morrisseau a exploré de nouvelles techniques picturales, jouant avec le coup de pinceau et la couleur. Impressionist Thunderbirds témoigne de l’expérimentation de Morrisseau, qui réagit ici au langage artistique de l’impressionnisme du 19e siècle.
Des coups de pinceau de couleur composent l’arrière-plan de cette petite œuvre, puis il y ajoute un groupe d’Oiseaux-Tonnerre, créant ainsi une œuvre d’art qui témoigne de sa conscience des traditions artistiques. Morrisseau a réalisé cette œuvre lors d’une période de rétablissement dans sa lutte contre l’alcoolisme au Centre de désintoxication Alcare de Sainte-Rose du Lac, au Manitoba, en 1975.
Pendant sa guérison au centre de traitement, Morrisseau modifie son vocabulaire visuel et crée des œuvres nouvelles et passionnantes. Cory Dingle, un ami de Morrisseau devenu le directeur de sa succession, raconte :
Norval m’a raconté l’histoire de cette œuvre. Il m’a dit que lorsqu’il est arrivé au Centre de désintoxication AlCare à Sainte-Rose du Lac, au Manitoba, il y avait une belle bibliothèque et que, pour la première fois, il pouvait accéder à des pensées sobres et à des livres d’art du monde entier… Il se rappelle avoir pris un livre sur l’impressionnisme et il s’est dit qu’il allait faire un essai. À ma connaissance, il a pris deux tableaux de 32 x 20 pouces et en a coupé un en deux. Il a réalisé trois tableaux de style impressionniste.
Correspondance avec Cory Dingle, février 2024.
À ses débuts, Morrisseau travaille surtout à la tempera ou à la gouache sur de l’écorce de bouleau ou sur diverses sortes de papiers et même des peaux. Il expérimente aussi avec de la peinture à l’huile pendant une courte période.
Un jour ensoleillé, on travaillait tranquillement et Norval Morrisseau me dit : "Sais-tu pourquoi je ne peins pas à l’huile? C’est parce que ça pue”. Il explique que lorsqu’il réalisait quelques peintures à l’huile, elles mettaient du temps à sécher et que sa petite maison se remplissait d’émanations nocives. Il a ensuite raconté que sa maison était mal chauffée et peu isolée en hiver, de sorte que les huiles ne séchaient presque jamais. Il était vraiment heureux d’avoir découvert l’acrylique.
Correspondance avec Cory Dingle, février 2024.
Ce travail expérimental sur du wiigwaas ou de l’écorce de bouleau présente un motif de deux poissons et d’un soleil que Morrisseau a perforés dans la feuille d’écorce.
Peinte à l’acrylique sur toile et vendue par la Pollock Gallery à la fin des années 1970, cette œuvre atypique imite l’écorce de bouleau et dépeint un combat psychique entre un chaman (aidé par un ours sacré) et un poisson en pleine métamorphose. Les têtes et les yeux surdimensionnés relient l’œuvre à l’intérêt spirituel de l’artiste pour Eckankar. Cependant, Morrisseau met l’accent sur les cœurs de l’ours, du chaman et du poisson, dans la continuité de son habitude à souligner l’importance du cœur dans ses récits visuels. Ici, l’artiste fait appel au rouge comme courant d’énergie pour relier tous les êtres entre eux. Notons également que l’une des pattes de l’ours comporte une tête de serpent grimaçante.
Morrisseau a souvent dessiné et peint des autoreprésentations. Ce dessin au crayon, réalisé vers 1982, témoigne des différentes formes adoptées dans son langage visuel en dehors de la peinture. Ici, Morrisseau ajoute des hachures détaillées sur les trois figures d’oiseaux et plus de subtilités dans le rendu général. L’œuvre célèbre encore une fois les liens de parenté, grâce à la présence de trois oiseaux autour de la tête de l’artiste.
En 1977, Morrisseau avait développé son propre vocabulaire artistique, afin de raconter un large éventail de récits visuels.
Ce chef-d’œuvre de six panneaux, peints en 1977, représente le récit de sa propre métamorphose d’apprenti chaman en Oiseau-Tonnere de cuivre, l’artiste-chaman. Il s'agit d'un récit à la fois personnel et sacré. Morrisseau dit de cette œuvre qu’elle est sa plus formidable. Lors d’un entretien avec Gary Dault, critique d’art au Toronto Star, en 1977, Morrisseau déclare ceci à propos de son œuvre : « Durant 15 ans, j’ai voulu peindre ce tableau, mais j’en étais incapable. C’est mon tableau suprême et je le partage. Le partage, c’est formidable. »
Les six panneaux débordent d'énergie et de couleur. Dault est d’accord :
« Pour apprécier la force écrasante de l'œuvre, il faut y être. » Pour lui, il s’agit de « la plus grande œuvre » de la carrière de Morrisseau.
G. M. Dault, « Painting Gives Canadians a Masterpiece », Toronto Star, 29 août 1977, p. D5.
Carton d’invitation pour l’exposition à la Pollock Gallery qui présente Man Changing into Thunderbird. Selon Richard Baker, l’avocat de Morrisseau dans les années 1970, l’artiste a achevé les deux derniers panneaux de l’œuvre tout juste avant l’ouverture de l’exposition et la peinture séchait encore lors du vernissage. (Entretien avec R. Baker, 2022)
L’œuvre offre un récit visuel de la vision changeante de la spiritualité chez Morrisseau en intégrant à la fois son grand-père, Moses Potan Nanakonagos, sur le panneau de gauche, et son autoreprésentation sur le panneau de droite. À l’aide de deux différents panneaux et palettes de couleurs, il retrace sa vision évolutive du chamanisme après son adhésion aux enseignements d’Eckankar.
L’artiste explore également l’arrière-plan dans cette œuvre; il applique des lavis de couleur sur la toile avant de peindre ses récits visuels. Il en résulte un récit visuel en deux panneaux, reliés entre eux par la forme et la couleur, qui décrit les nouvelles idées qui influencent Morrisseau. Les deux panneaux distincts servent notamment à exprimer les nouveaux points de vue de Morrisseau. Ainsi, il rend hommage aux enseignements de son grand-père, mais distingue également ses propres idées sur la spiritualité, qui évoluent et s’éloignent de l’interprétation du savoir Anishinaabe tandis qu’il intègre de nouvelles notions dans sa façon de comprendre le monde. Par conséquent, son intérêt pour Eckankar se traduit pour le public par un vocabulaire visuel familier. L’ajout de « HU » dans le cercle spirituel bleu fragmenté, situé dans le coin supérieur gauche du panneau droit, fait référence au mantra d’Eckankar. Les êtres interreliés apparaissent sur ce panneau en diagonale, de façon à exprimer que ses enseignements ne reposent plus uniquement sur des liens d’interrelations.
À mesure que Morrisseau adopte les enseignements d’Eckankar, la couleur jaune prend de plus en plus d’importance dans ses tableaux. Ici, des couleurs éclatantes montrent des animaux, des humains et des êtres spirituels dans un univers interconnecté, entouré de strates de récits et de formes de savoir.
Il poursuit son usage des lignes et de couleurs porteuses de signification spirituelle ainsi que sa représentation de l’interrelation entre tous les êtres vivants. Ses œuvres inspirantes semblent vibrer en raison de leur grande échelle et des choix de couleurs.
La maison des inventions m’a donné la couleur.
Norval Morrisseau: Return to the House of Invention, 1997, p.14
Logan Fiddler, l’arrière-petit-fils de Norval Morrisseau, lit en anglais une citation de ce dernier en 2023.
Bagijige
Selon les traditions anishinaabeg, une offrande renvoie à offrir un cadeau et constitue une forme de protocole. Il s’agit d’un geste de relation entre les personnes, les animaux, les esprits et les autres entités de l’univers, offert dans le but de créer des liens, de les honorer ou de demander de l’aide et des conseils.
Doefler, Sinclair et Stark, Centering Anishinaabeg Studies, p. xv
Morrisseau a peint ce chef-d’œuvre en 1983 et l’a offert à la population canadienne. L’artiste a communiqué avec le premier ministre Pierre Trudeau pour lui expliquer qu’il souhaitait offrir la murale directement à ce dernier.
Trudeau n’a pas assisté au dévoilement et cette œuvre remarquable est demeurée dans le hall d’entrée du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada à Gatineau jusqu’à la rétrospective de l’artiste au Musée des beaux-arts en 2006, où elle a été redécouverte comme étant un véritable joyau.
Souvent, les gens me disent que je les ai guéris. Mais ce n’est pas moi, ce sont les couleurs du tableau… La guérison n’a jamais été aussi colorée.
Morrisseau: Return to the House of Invention, 1997, p. 15.
Logan Fiddler, l’arrière-petit-fils de Norval Morrisseau, lit en anglais une citation de ce dernier en 2023.
À partir des années 1980, Morrisseau commence à peindre des tableaux de plus grande échelle et à utiliser des couleurs intenses. Dans ses œuvres de type murales, dont Observations of the Astral World, l’artiste réunit de façon originale tous les aspects de ses enseignements spirituels, de la cosmologie anishinaabe, au symbolisme chamanique, en passant par les enseignements d’Eckankar. Les couleurs éclatantes évoquent l’équilibre entre deux sphères ou deux mondes. L’artiste peint une famille reliée aux êtres vivants de l’aki, la Terre, dans la sphère gauche, encerclée par un fond cuivré. À droite, les figures de chaman dans le cercle sont accompagnées de l’ours sacré, des poissons et d’une coiffe d’oiseau-tonnerre. Les deux groupes se trouvent de part et d’autre d’un arbre. Le tronc central de cet arbre du savoir correspond à une ligne de partage noire. Le jaune, une couleur associée aux enseignements d’Eckankar, apparaît dans deux de ces cercles d’où des poissons, symboles d’esprits sous-marins, traversent la composition scindée, illustrant ainsi les échanges entre les différents mondes. De cette œuvre prodigieuse se dégage un effet de guérison grâce aux couleurs éclatantes choisies par l’artiste.
Ce tableau, réalisé vers la fin de la carrière, comprend une petite apparition de Morrisseau en scooter, alors qu’il est atteint de la maladie de Parkinson.
L’artiste y reprend de nombreux motifs présents tout au long de sa carrière, notamment l’interconnexion entre les mondes, la migration, les Oiseaux-Tonnerre, les poissons et les plantes.
L’artiste privilégie toujours le trait noir et les couleurs vives.